introduction

On a dit de Jackie Shane (1940–2019) qu’elle était courageuse, qu’elle refusait les limites et qu’elle abattait les barrières. Interprète de talent, elle a lancé en 1962 la chanson Any Other Way, qui est devenue son plus grand succès. Les paroles de ce morceau sont imprégnées d’un message sur l’acceptation de soi.

Bien que Jackie ait été peu connue à l’extérieur de Toronto durant sa vie, beaucoup de ses chansons ont été endisquées à nouveau en 2017. En 2018, cette compilation s’est retrouvée en lice pour le prix Grammy du meilleur album historique, suscitant à l’échelle mondiale un intérêt renouvelé pour cette artiste.

Peu encline à donner des entrevues, Jackie est sortie de son silence avant sa mort en 2019, racontant son histoire à un groupe très sélect.

Little Richard

Ses débuts à Nashville

Née dans la peau d’un garçon en 1940 à Nashville, au Tennessee, Jackie savait dès l’âge de 13 ans qu’elle était censée être une femme. Elle a grandi avec sa mère et ses grands-parents maternels aimants et bienveillants, chantant dans des troupes, des chorales d’église et des chorales scolaires.

Dans les années 1940 et 1950, être un homme ouvertement gai, c’était endurer de la discrimination constante et même de la violence. Il est cependant probable que Jackie ait été séduite par la vie de scène. Plusieurs musiciens en vue de sa jeunesse accueillaient ouvertement la fluidité des genres dans le cadre de leurs spectacles dans le Sud : dans les années 1940, Little Richard, légende du rock-and-roll, a donné des spectacles en tant que femme, Princess LaVonne, dans une tournée.

Un portrait couleur de Little Richard

Carte de collection Topps à l’effigie de Little Richard en 1957.

Sous licence Creative Commons

Son arrivée au Canada

Son arrivée au Canada

Le racisme, la discrimination et la violence contre les communautés noires durant la période de ségrégation ont convaincu Jackie de quitter le Sud des États-Unis.

En 1959, avec une troupe de musiciens itinérants, elle a pris la route de Détroit, a traversé la frontière canadienne et s’est rendue à Montréal.

Au Canada, Jackie a rencontré le célèbre trompettiste Frank Motley. Elle s’est jointe au groupe Frank and the Hitchhikers, devenant la vedette de son spectacle. Frank Motley la présentait souvent comme Little Jackie Shane lorsqu’elle montait sur scène.

Une annonce dans un journal mettant en vedette Jackie Shane à la Saphire Tavern dans le cadre de l'événement Saphire Au Go-Go
Jackie Shane en spectacle à la Saphire Tavern avec le groupe Frank Motley and the Hitchhikers.
Toronto Star, 1er novembre 1967
La Saphire Tavern

La Saphire Tavern

Une image en noir et blanc représente un bâtiment en brique sur un coin de la rue, avec une ampoule à travers la porte qui lit "The Saphire Tavern". La route est posée avec des voies de tramway et des fils sillonnent l'air au-dessus.
 La célèbre Saphire Tavern située au centre-ville de Toronto. Le nom de cette taverne avait de quoi rendre fous les correcteurs des journaux, car il comportait seulement un « p », contrairement au nom de la pierre précieuse en anglais (sapphire).
Archives de la ville de Toronto, fonds 2032, série 841, fichier 17, article 22

Dans les années 1960, la rue Yonge formait le quartier du divertissement de Toronto. Tous ses bars, tavernes et restaurants proposaient de la musique et des divertissements. L’un de ces établissements, connu sous le nom de Saphire Tavern, est devenu l’endroit où Jackie Shane préférait donner des spectacles. La taverne était située à l’angle nord-ouest des rues Richmond et Victoria, à un pâté de maisons à l’est de la rue Yonge. Jackie y a donné son premier spectacle en 1963. Après avoir voyagé et s’être produite partout en Amérique du Nord, elle est revenue y donner une série de spectacles de dix semaines en 1967. Jackie était connue pour son humour et son esprit lorsqu’elle s’exprimait spontanément et livrait ses monologues sur scène.

Elle aimait bien Toronto et y est restée pendant près d’une décennie. En dépit du fait qu’elle était entourée d’une mentalité principalement blanche et conservatrice, elle était fière de qui elle était. La question de son genre soulevait les interrogations des tabloïds et des journaux. D’ailleurs, la majorité des articles de l’époque la désignaient par des pronoms masculins.

Bâtonnet à cocktail
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Imagine assister au concert de Jackie tout en faisant tournoyer les glaçons de ton cocktail (ou cocktail sans alcool) avec ce bâtonnet jaune en forme de sirène. Gracieuseté de Emily Berg

Un bâtonnet à cocktail souvenir

Ce bâtonnet n’est qu’un simple morceau de plastique, mais peu d’articles évoquent aussi bien l’univers unique des bars des années 1960. Ce modèle de bâtonnet à cocktail en forme de sirène de la Saphire Tavern a été déposé dans la plupart des verres servis aux clients, pour piquer une olive dans un martini ou une cerise au marasquin dans un old-fashioned.

L’adresse originale de la Saphire Tavern sur la rue Yonge est étampée sur le revers du bâtonnet. Tout comme les cartons d’allumettes et les sous-verres, les bâtonnets à cocktail constituaient un élément important de l’image de marque de la taverne, bien avant l’ère des réseaux sociaux et des publicités numériques. Les clients de la taverne pouvaient garder ces bâtonnets en souvenir de la soirée où ils avaient entendu Jackie Shane ou Frank Motley.

Pochette de l’album de Jackie Shane paru en 1967. Les mots « Jackie Shane Live » figurent en caractères colorés, sur le côté gauche.

Lancé en 1967, Jackie Shane Live était le premier album complet de Jackie. Il contenait son célèbre succès Any Other Way, chanson écrite par l’artiste R&B William Bell à laquelle elle conférait une nouvelle signification grâce à son interprétation. Le mot « gai » comportait maintenant un double sens, signifiant simultanément joyeux et une orientation sexuelle. Son interprétation est devenue très bien connue, figurant parmi les chansons les plus populaires au Canada en 1967.

Avec l’aimable autorisation de Caravan Record Sales Limited

Any Other Way

Écoute : Any Other Way

Tell her that I am happy,
Tell her that I am gay,
Tell her that I would not have it any other way.

— Paroles de William Bell, interprétation de Jackie Shane

Voir la traduction

Dis-lui que je suis heureuse.
Dis-lui que je suis gaie.
Dis-lui que cette vie, je ne voudrais jamais l'échanger.

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Palais Royale
Une chanteuse en pantalon blanc et veste à paillettes tient un micro sur scène. Un saxophoniste et un trompettiste se trouvent à ses côtés. Une batterie se trouve derrière eux.

Vêtue d'un tailleur-pantalon à paillettes scintillantes, d'un maquillage et de faux longs cils, Jackie a chanté dans la salle de bal Palais Royale de Toronto, soutenue par Frank Motley et les auto-stoppeurs en 1967.

Photo par Jeff Goode, avec l’aimable autorisation du Toronto Star

On ne peut pas choisir son lieu de naissance, mais on peut choisir sa maison.

J'ai choisi Toronto. J'adore Toronto. J'adore les Canadiens.

—Jackie Shane, Entrevue avec "q" de CBC, février 2019

Leaving Toronto

Jackie Shane a quitté Toronto discrètement en décembre 1971, déménageant d’abord à Los Angeles afin d’être plus près de sa mère âgée, puis à Nashville.

Après le décès de sa mère en 1997, Jackie a vécu une vie paisible loin des médias et des projecteurs. Des rumeurs ont circulé sur le lieu où elle se trouvait. Beaucoup de personnes se demandaient si elle était même en vie.

Activisme queer

Activisme queer

Après le départ de Jackie Shane en 1971, les communautés LGBTQ2+ de Toronto ont continué d’être victimes d’atrocités et de lutter pour l’égalité des droits de la personne. En février 1981, des agents de la police métropolitaine de Toronto ont arrêté plus de 300 hommes dans des saunas de la ville et les ont accusés d’attentat à la pudeur. Les hommes arrêtés ont été ciblés en raison de leur sexualité et de leur association avec les communautés gaies de Toronto. Cet événement, connu sous le nom d’Opération savon (Bathhouse Raids), a constitué un moment décisif pour la communauté gaie de Toronto, car il a déclenché des manifestations et des revendications en faveur de la justice et de l’équité.

Les années 1970 et 1980 ont aussi été une période de militantisme politique, particulièrement dans le monde des arts. La culture queer a prospéré jusqu’à dominer les grands courants musicaux et influencer la politique locale, nationale et internationale. Cependant, l’homophobie, le racisme, la discrimination et l’intimidation sont encore courants aujourd’hui.

Une couverture de la revue Body Politic où l’on peut voir le mot « Rage » en gros caractères sur une photo d’hommes escortés par des policiers.

Cette page couverture du numéro de mars 1981 de Body Politic, la première revue gaie canadienne d’envergure, reflète la colère et le militantisme qu’ont provoqués les descentes de l’Opération savon. Utilise la fonction de zoom pour explorer les autres manchettes de cette importante publication de journalisme LGBTQ2+.

Body Politic, numéro 71, mai 1981, avec l’aimable autorisation de Musée Canadien pour les Droits de la Personne et Pink Triangle Press

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Jackie et le QSO

Écoute :
Shaun Brodie
et le QSO

L’histoire de Jackie Shane est inspirante. Elle continue de donner espoir et de réconforter beaucoup de gens.

Shaun Brodie, fondateur et directeur artistique du Queer Songbook Orchestra (QSO) de Toronto, un orchestre pop qui explore et met en lumière le point de vue queer dans la musique populaire, explique comment le QSO a raconté l’histoire de Jackie par l’intermédiaire de récits et de pièces musicales.

Écoutez Shaun Brodie décrire comment les chansons de Jackie Shane sont des éléments puissants de leurs performances, affectant à la fois les interprètes et les membres du public. 

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Enregistré pour Heritage Toronto, 2019.

Voir la transcription

Shaun Brodie : L’histoire de Jackie Shane est un exemple parfait du type de récit historique que nous racontons. Nous jetons un regard sur plusieurs générations de musique pop et nous faisons des recherches pour voir s’il y a des histoires qui ne sont pas bien connues ou qui ont été occultées au fil du temps. Dans le cas de Jackie Shane, bien que son histoire soit beaucoup plus connue depuis quelques années, vous savez, pendant longtemps, elle ne l’était pas.

Je connais moi-même son histoire seulement depuis qu’elle est devenue plus connue, il y a quelques années. Et vous savez, ses chansons sont formidables. Nous sommes très heureux aujourd’hui de pouvoir ajouter une chanson de Jackie Shane à notre répertoire et... C’est aussi super car... Je ne sais pas, certaines des chansons que nous jouons ont tendance à avoir un rythme plutôt lent, comme des ballades… Vous savez, avec le genre d’ambiance de nos spectacles, nous avons plutôt tendance à ne pas jouer beaucoup de chansons électrisantes ou vraiment enlevantes.

La musique de Jackie Shane crée une ambiance totalement différente. Elle produit des ondes positives qui changent toute la dynamique de la salle, car ça fait toujours du bien d’entendre Any Other Way, vous savez ce que je veux dire? C’est vraiment bien de pouvoir raconter l’histoire d’une femme trans racisée qui vivait à Toronto dans les années 1960, à une époque où on ne voyait pas beaucoup de femmes comme elle. Et, d’après ce que j’ai lu et compris, elle s’assumait complètement.

C’était qui elle était. Et elle n’allait pas changer pour qui que ce soit. Il y a aussi tout le mystère qui entoure la suite de sa vie. Personne ne savait où elle était. Ouais, c’est une histoire fascinante, qui s’harmonise vraiment bien avec ce que nous faisons : explorer une histoire pour pouvoir la présenter à de nouveaux publics qui n’ont peut-être jamais entendu parler de l’artiste.

Les enseignements de Jackie

Les enseignements de Jackie

Après le lancement en 2010 du documentaire de CBC I Got Mine: The Story of Jackie Shane de la réalisatrice Elaine Banks, l’histoire de Jackie a commencé à être plus connue. Malgré cela, Jackie est demeurée une personne discrète, accordant très peu d’entrevues aux journalistes. Au début de 2019, elle a raconté son histoire dans le cadre d’une entrevue exclusive pour l’émission d’art et de culture q de CBC.

Seulement deux semaines après l’entrevue, elle est décédée paisiblement chez elle dans son sommeil. Elle avait 78 ans.

Fière et confiante, Jackie nous a enseigné beaucoup de choses. Elle nous a appris que c’est bien d’être différent, de croire en soi, d’être fier de qui on est et de ce qu’on a accompli.

Je n’ai jamais senti que je devais changer ou faire quoi que ce soit qui ne me semblait pas naturel. Je ne serai jamais une créature insipide qui fait semblant ou qui laisse les autres lui dire quoi faire.                                                                  

Je tiens les rênes de ma vie. C’est ma vie. Peu m’importe ce qu’on va dire, je vais être Jackie. Je ne peux être une autre. C’est tout ce que je connais. C’est ce que je ressens dans mon cœur et mon âme.

—Jackie Shane, entrevue pour l’émission q de CBC, février 2019
Explore à fond

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Any Other Way: How Toronto Got Queer. Stephanie Chambers et al. (éd.) Toronto: Coach House Books, 2017. 

Any Other Way. Compilation. Los Angeles : The Numero Group, 2017.