Dans un contexte où moins de cent personnes parlent toujours la langue wolastoq, Jeremy Dutcher comprend l’importance d’honorer, de se rappeler et d’apprendre les langues autochtones.
La Loi sur les Indiens du gouvernement canadien et le mouvement d’assimilation ont été conçus pour éradiquer les pratiques traditionnelles sociales, culturelles et politiques des Autochtones à l’échelle du Canada. De nos jours, une grande partie de la langue et de la culture du peuple wolastoqiyik a été perdue... À une époque, il était même illégal pour ses membres de chanter leurs chansons traditionnelles.
Redécouvrir les chansons des Wolastoqiyik
Jeremy est né au Nouveau-Brunswick en 1990 et est un membre de la Première Nation de Tobique, sur les rives de la rivière Saint-Jean. Il a fréquenté l’Université Dalhousie, à Halifax, où il a étudié la musique classique pour ensuite suivre des cours d’anthropologie sociale. Au cours de ses études, il s’est intéressé à l’exploration des différences tonales entre la musique classique occidentale et la musique traditionnelle de son peuple, les Wolastoqiyik.
En 2013, le cheminement de Jeremy a changé, durant l'une de ses nombreuses conversations avec Maggie Paul, une aînée, enseignante et gardienne de chansons qui a consacré la majeure partie de sa vie à la préservation des traditions musicales wolastoqiyik.
[Paul] savait que je m’intéressais à notre musique traditionnelle et elle m’a dit : « Si tu veux vraiment accroître ta connaissance des vieilles chansons, tu dois visiter le musée, car c’est là qu’elles sont gardées. »
—Jeremy Dutcher
Paul l’a encouragé à découvrir les enregistrements autochtones et à les ramener là où ils devraient être, dans la communauté.
Quand on perd une langue, on ne perd pas que des mots; on perd toute une façon de voir et d’explorer le monde d’un point de vue distinctement autochtone.
— Jeremy Dutcher
Se réapproprier la langue
Jeremy a reçu du financement du Conseil des arts du Canada pour se rendre au Musée canadien de l’histoire à Gatineau, au Québec. Il a pu y explorer les archives ethnographiques de William Mechling, un anthropologue qui a étudié les communautés de la Première Nation des Wolastoqiyik, au sein desquelles il a vécu de 1904 à 1911, recueillant 100 chansons et de nombreux récits. Ce désir très colonial de documenter ce qui semblait être une culture agonisante était assez courant à l’époque.
Il a plus de cent ans, M. Mechling a créé certains des « premiers enregistrements connus de personnes autochtones », conservés sur des rouleaux de cire. Puisant dans sa formation en musique classique, Jeremy a écouté et retranscrit des chansons qu’il n’avait jamais entendues chantées par ses ancêtres. Il a pu chanter avec eux, d’abord à l’unisson, puis en harmonie.
Regarde: Artiste en résidence
En tant qu'artiste en résidence en 2016 au National Music Centre de Calgary, en Alberta, Jeremy Dutcher a travaillé pour incorporer les enregistrements de cylindre de cire de William Mechling des communautés malécites dans sa musique, fusionnant des éléments de musique classique, contemporaine, traditionnelle et jazz. Apprenez comment il voit son travail comme une récupération de la musique de son peuple et une expression de l'endurance de la communauté.
Regarde la vidéo de la résidence artistique de Jeremy Dutcher au Centre national de musique. Il y décrit l’expérience qu’il a vécue en explorant ces archives et parle de sa décision de créer son premier album, Wolastoqiyik Lintuwakonawa, entièrement en langue wolastoq. Le titre de l’album peut être traduit par « Les chansons du peuple de la Belle Rivière ».
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Gracieuseté du National Music Centre. Remarque : Cette vidéo de tierce partie n’est pas sous-titrée.
Voir la transcription[Jeremy Dutcher] Je suis aussi très content de présenter ce projet au Centre national de musique, car vous savez, je crois que la musique autochtone a vraiment été sous-représentée dans la vision qu’ont les gens de la musique canadienne.
Pas vrai? C’est la musique de ce territoire. C’est formidable de pouvoir chanter ces chansons dans un endroit comme celui-ci et, d’une certaine façon, de se les réapproprier et de dire « nous sommes encore ici et ceci est notre musique depuis des générations », et d’avoir l’occasion de vous la présenter. Sur le plan culturel, nous avons finalement atteint un point où nous pouvons avoir cette discussion.
[Musique]
[Jeremy Dutcher] Le matériel source pour ce projet, ce sont des enregistrements sur cylindres de cire réalisés au début des années 1900 par un anthropologue nommé William Mechling. Cet homme s’est rendu dans nos communautés de la côte Est et y a vécu environ sept ans. Il a pu recueillir plus d’une centaine de nos chansons traditionnelles en les enregistrant sur des cylindres de cire, qui ressemblent à celui-ci. Il s’agit donc de l’une des toutes premières technologies d’enregistrement. Avant les disques et les autres technologies de ce genre, les enregistrements étaient effectués sur des cylindres de cire.
[Musique]
[Jeremy Dutcher] Ces enregistrements me permettent de chanter avec mes ancêtres tout en ayant le regard tourné vers l’avenir. Les genres de musique que je joue et que j’aime depuis toujours sont le jazz, l’opéra et les chants traditionnels. Ce sont des genres qui ne communiquent pas souvent entre eux. Je crois que c’est mon rôle de faire en sorte qu’ils se tournent les uns vers les autres et, vous savez, qu’il y ait cette conversation entre des genres qui ne sont pas compatibles de prime abord.
[Musique]
[Jeremy Dutcher] J’ai découvert qu’il y avait anciennement beaucoup d’improvisation dans la musique autochtone de la côte Est. N’est-ce pas? Ce n’est pas le cas aujourd’hui. Les chanteurs ajoutaient leurs propres raffinements, ouvrant des parenthèses et se lançant dans de vastes improvisations.
C’est pourquoi je voulais aussi vraiment explorer cet aspect. J’espère que cela incitera d’autres jeunes à réfléchir aux origines et à l’histoire dans la musique qu’ils font aujourd’hui.
[Musique]
Plus qu’une chanson à répondre
Lorsqu’on écoute la musique de Jeremy, on entend d’abord une mélodie de ténor accompagnée par un piano. À mesure que l’on progresse vers le point culminant de chaque morceau, on remarque l’union de l’opéra, du jazz et du chant traditionnel.
On entend aussi des extraits de voix tirés des enregistrements originaux sur cylindre de cire : ce sont les ancêtres de Jeremy qui chantent avec lui.
Jeremy incarne sa compréhension musicale contemporaine, tout comme l’auraient fait ses ancêtres, en livrant les mélodies de différentes façons, pour ensuite les réunir. Ces influences lui permettent d’établir un dialogue intergénérationnel qui défie le temps et l’espace.
Écoute : Ultestakon
Cela a été très spécial de pouvoir entendre ce que mes ancêtres chantaient et pensaient et ce à quoi ressemblait leur monde.— Jeremy Dutcher, entrevue au Centre national de musique, 2016
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Reconnaissance et distinctions
Jeremy Dutcher a lancé son album Wolastoqiyik Lintuwakonawa de façon indépendante. Il a gagné le prix Polaris en 2018, devenant une véritable sensation dans le monde de la musique. En 2019, Jeremy a gagné le prix JUNO de l’album de musique autochtone de l’année. Cette catégorie été renommée Artiste ou groupe autochtone de l’année en 2020, dans un souci d’inclusivité.
Jeremy continue d’utiliser sa musique et sa voix à des fins militantes et pour favoriser les échanges, invitant tout le pays à avancer dans un esprit positif.
Je ne suis pas l’Indien que vous vouliez, mais je suis l’Indien dont vous avez besoin.
Jeremy Dutcher, entrevue avec le Guardian, 2019
Photo par Dustin Rabin
Ça, c’est donner de l’espace! La réconciliation est un noble objectif. C’est un rêve. Cela ne se fera pas en un an. Cela prendra du temps. Cela prendra des histoires. Cela prendra une expérience partagée. Cela prendra de la musique. J’ai de l’espoir. Il le faut.
— Jeremy Dutcher, Prix JUNO, 2019
Notre musique dit quelque chose
Jeremy salue le travail d’artistes comme Buffy Sainte-Marie, une artiste qu’il a écoutée et a admirée toute sa vie. Cependant, il croit que la musique autochtone n’a pas besoin d’être distincte des autres genres :
Notre musique, ce n’est pas un créneau. Notre musique dit quelque chose.
—Jeremy Dutcher
Son album va au-delà de la revitalisation linguistique. Il touche aussi à des enjeux autochtones majeurs, comme le manque d’eau propre et la question des femmes et des filles disparues et assassinées.
Une table d’excellence autochtone
Le premier morceau de l'album 2018 de Jeremy Dutcher Wolastoqiyik Lintuwakonawa est "Lintuwakon 'ciw Mehcinut", qui se traduit par « Death Chant ». La musique fusionne la musique originale de Dutcher avec un enregistrement réalisé il y a plus de 100 ans de l'ancêtre Wolastoqiyik Jim Paul discutant du sujet de la mort et de l'au-delà.
Lorsqu’il a enregistré le vidéoclip de Mehcinut, qui est un chant funèbre, au Musée Aga Khan de Toronto, Jeremy a rassemblé quinze artistes, leaders et militants autochtones issus de diverses disciplines afin qu’ils participent à la vidéo et qu’ils forment une « table de l’excellence autochtone ».
Pour enregistrer le vidéoclip de «Mehcinut», Dutcher a réuni 15 artistes, dirigeants et militants autochtones de diverses disciplines au Musée Aga Khan de Toronto en 2019. En regardant le vidéoclip ci-dessous, recherchez d'éminents artistes indigeous Bear Witness de A Tribe Called Red et Lido Pimienta aux extrémités opposées de ce que Dutcher appelle une «table d'excellence autochtone».
[Le clip vidéo était] mon occasion de mettre en vedette des personnes influentes des communautés artistiques autochtones d’un océan à l’autre — des artistes qui changent les choses et dont les rêves nous poussent vers un nouvel avenir resplendissant. En ce moment, il est extrêmement important d’avoir des représentations diversifiées de qui nous sommes en tant que peuples autochtones.
—Jeremy Dutcher
Regarde : Mehcinut
Cette exposition en ligne utilise des applications tierces, notamment Spotify et YouTube. Vérifiez auprès de l'administrateur Web de votre organisation si vous ne parvenez pas à accéder au contenu de ces chaînes dans l'exposition.
Gracieuseté de Jeremy Dutcher. Remarque : Cette vidéo de tierce partie n’est pas sous-titrée.
Voir la transcription[Jeremy Dutcher entre dans une salle de concert vide. Il porte une longue cape transparente par-dessus sa chemise et son pantalon rouges. Il porte également un chapeau haut de forme décoré d’une plume. Il avance dans la salle tout en agitant légèrement sa cape. Il s’assoit au piano au centre de la scène. Il commence à jouer. Il chante une pièce intitulée Mehcinut.
Des danseurs apparaissent derrière lui. Leurs coiffures et leurs vêtements s’inspirent de vêtements autochtones traditionnels. Les danseurs exécutent une danse inspirée de danses autochtones traditionnelles. Une vieille femme autochtone vêtue de rouge apparaît brièvement sur scène. Elle est entourée d’un faucon et d’une jeune femme. Les danseurs ralentissent leurs mouvements. Un plafond mauve aux motifs géométriques apparaît à l’écran.
Les danseurs autochtones réapparaissent brièvement avant que le plafond n’occupe l’écran de nouveau. L’image du plafond se fond dans celle d’un escalier circulaire. Jeremy Dutcher descend l’escalier en courant, la cape au vent. L’image de l’escalier se fond dans celle de l’intérieur d’un gramophone. Le gramophone est posé sur une longue table. C’est la nuit. La lune remplit le ciel. La table est entourée d’hommes et de femmes aux vêtements colorés. La table est mise pour le repas : elle est recouverte de nourriture, dont une dinde farcie, un lion de mer et une tête de phacochère.
Trois jeunes soulèvent la chaise sur laquelle est assise la femme en rouge. Elle se retrouve dans la salle de concert où Jeremy Dutcher joue la chanson. La femme en rouge et d’autres personnes sur scène saluent Jeremy Dutcher. La femme en rouge rejoint les danseurs et interagit avec Jeremy Dutcher. Les personnes assises à la longue table réapparaissent brièvement à l’écran. La femme en rouge est assise à la table, souriante. Jeremy Dutcher a quitté le piano. Il tourne pendant qu’une femme tient sa tête dans ses mains.
Une jeune femme tenant un jeune enfant dans ses bras apparaît à l’écran. Ils sont à l’extérieur. Il fait nuit et la lune remplit le ciel en arrière-plan. Elle tend l’enfant à la femme en rouge. À l’aube, Jeremy Dutcher marche à côté d’un immeuble moderne, près d'une grande piscine. Il ouvre sa cape. L’écran fait un fondu au noir. Un passage écrit en wolastoq est présenté à l’écran, suivi d’une traduction en anglais. Générique.]
Je crois que mon travail est d’interagir avec les jeunes et de les intéresser aux vastes connaissances que renferment notre langue et nos chansons. L’époque du colonialisme intériorisé est terminée.
— Jeremy Dutcher, The Guardian, 2019
Miser sur les générations futures
Jeremy continue de collaborer avec les jeunes générations afin de les aider à trouver leur voix dans le monde de la musique. Il exprime et entrelace son identité bispirituelle avec son appartenance autochtone et son expression culturelle, demeurant courageux et fier de lui-même et de sa musique.
Explore à fond
Site Web officiel de Jeremy Dutcher
Bernard C. Perley. Defying Maliseet Language Death: Emergent Vitalities of Language, Culture, and Identity in Eastern Canada. Lincoln: University of Nebraska Press, 2011.