Introduction

Ce n’est pas tout le monde qui sait chanter ou jouer d’un instrument de musique, mais la majorité d’entre nous savons parler. On peut prendre la parole dans l’intimité de son foyer, à l’école, ou encore lors d’une manifestation pour la justice sociale. Dans le cadre de la création orale et de la poésie dub, on utilise des mots qui doivent être prononcés à haute voix, mais on joue avec le rythme et on expérimente avec le débit et l’intonation pour représenter la signification de mots particuliers.

Artiste de création parlée, activiste, mentore et éducatrice, Lillian Allen est une pionnière et une figure de proue de la poésie dub.

Ses débuts
Une photo en noir et blanc de la tête et des épaules d’une femme. Elle regarde l’objectif. Elle porte un pull à col roulé, un chapeau court de style africain, des lunettes ainsi que des boucles d’oreilles pendantes.

Lillian Allen en 1991.

Photo de John Mahler, avec l’aimable autorisation des archives photographiques du Toronto Star

Ses débuts

Née en Jamaïque en 1951, Lillian Allen a immigré au Canada en 1969. Elle a fait ses études à New York, en communication, en études des Noirs et en création littéraire. Elle s’est ensuite établie à Toronto en 1974.  Dans le Toronto des années 1980, la rue Queen Ouest était en plein essor, vibrant au rythme de la musique et des arts. Lillian Allen a contribué à positionner la poésie dub canadienne comme un élément important de la culture musicale jamaïco-canadienne.

Divers artistes et travailleurs culturels [venaient] sur la rue Queen pour leurs activités.

Ils nous ont tendu la main, nous ont acceptés et nous ont accueillis. C’est ainsi qu’est née la révolution culturelle qui s’est produite dans la ville, sur la rue Queen.

 – Lillian Allen, entretien avec Heritage Toronto, 2019

Ses origines

Poésie dub

Enracinée dans les traditions orales et d’écriture, la poésie dub est une forme de poésie sur scène qui a vu le jour en Jamaïque dans les années 1970. Les premiers poètes dub comme les Jamaïcains Oku Onoura et Linton Kwesi Johnson ont superposé la poésie parlée aux rythmes reggae.

La poésie dub est également associée aux appels au changement politique et social : le travail d’Onoura aborde la brutalité policière, le racisme et les injustices sociales.

Lillian Allen a rencontré Onoura en 1978 au Festival mondial de la jeunesse à Cuba. Les deux artistes ont reconnu l’un chez l’autre un style similaire de performance et d’activisme politique. Lillian Allen est devenue une des poètes dub les plus en vue en Amérique du Nord, elle qui a organisé des festivals, entrecroisé les cultures et les arts et lutté pour l’équité et l’égalité.

Le travail de Lillian Allen et des autres poètes dub s'attaque aux problèmes systémiques en décrivant les cultures noires, réfugiées et immigrantes, les problèmes sociaux, les droits des femmes et l’oppression. Son travail est également ancré dans l’activisme et le féminisme.

Les poètes dub

La poésie dub n’est qu’un chapitre dans une longue succession de formes artistiques dynamiques et novatrices qui comprend les griots d’Afrique, les récits d’esclaves, la poésie dialectale de Paul Lawrence Dunbar et les prêches de l’Église baptiste.

Il y a les poètes du blues, Langston Hughes et d’autres de la Renaissance de Harlem… les poètes noirs américains du jazz et du blues des années 1960, les DJ jamaïcains, puis les poètes dub et le rap noir américain…  Faire ressortir le dynamisme des mots a toujours fait partie de la culture et du mode de vie des Noirs.

 – Clifton Joseph, poète dub canadien, De Dub Poets, 1983

Une image en noir et blanc d’une pièce où se trouvent deux personnes. L’une fait face à un mur à la gauche d’une table en bois. L’autre, une femme, tient un pied de micro. On retrouve aussi d’autres microphones et haut-parleurs dans la salle.

Lillian Allen se produit lors de la remise des prix FUSE au Women’s Cultural Building, dans le centre-ville de Toronto, le 13 juillet 1983. FUSE était un périodique culturel torontois à but non lucratif. C’est l’une des publications alternatives du domaine des arts qui ont connu la plus grande longévité au pays (1976-2014).

Photo de Geoff Miles, avec l’aimable autorisation des archives Clive Robertson

Decolonize

Ma position pourrait être qualifiée de décoloniale et de postcoloniale. Je veux nous décentrer de l’univers blanc. (…) Je parle des droits. Je parle de la dureté et de la stupidité du racisme. Je parle d’unité. Je parle de notre lien avec la terre. Je parle de notre lien avec l’indigénéité.

— Lillian Allen, entretien avec Heritage Toronto, 2019
I Fight Back

Écoute : I Fight Back

En tant qu’activiste culturelle, Lillian Allen explore et met en lumière de nombreuses injustices, notamment le colonialisme, le racisme sociétal et institutionnel, et la discrimination raciale.

Au cours des années 1950, de nombreuses Jamaïcaines sont venues au Canada pour travailler dans des familles riches. Le texte « I Fight Back » de Lillian Allen, d’abord publié sous forme de poème en 1969, soulève des questions sur l’exploitation et le traitement des travailleuses domestiques jamaïco-canadiennes en adoptant leur point de vue.  Écrit du point de vue d'un tel travailleur, le poème est imprégné de messages de force et de résistance.

Dans cette pièce interprétée et enregistrée avec émotion, Lillian joue sur l’intonation et manipule le son des mots en soulignant certaines syllabes, fusionnant les traditions du reggae et du rock. Remarquez comment sa voix ressemble presque à une sirène lorsqu’elle prononce le mot « impérial. »

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Lillian à Toronto
Une femme se tient à la gauche d’un homme. Tous deux appuient leurs mains et leurs bras sur une rampe en bois devant eux. Ils sont habillés de façon décontractée, comme si c’était l’été. L’homme porte un débardeur blanc où l’on perçoit de l’écriture. La femme porte une chemise hawaïenne.

Lillian Allen avec son ami Billy Bryans (1947-2012), artiste et percussionniste, vers 1985. Billy a produit le premier album de Lillian, Revolutionary Tea Party, et a travaillé avec elle pour trouver la meilleure façon de fusionner la musique avec ses textes. Rassembleur, Billy a touché à tous les genres de musique et a été un membre fondateur du groupe Parachute Club.

Photo par Isobel Harry, avec l’aimable autorisation de Nicholas Jennings

Lillian à Toronto

Lillian Allen a travaillé avec de nombreux musiciens et artistes à Toronto. Elle a coécrit des paroles de chansons pour Truth & Rights, un groupe de reggae torontois socialement engagé. Elle a également joué et enregistré avec Devon Haughton et Clifton Joseph, dans le cadre d’une collaboration appelée De Dub Poets. Lillian a également collaboré pendant de nombreuses années avec différents membres de l’éminent groupe torontois The Parachute Club.

Elle a remporté le prix JUNO 1986 du meilleur album solo pour son album Revolutionary Tea Party, sur lequel elle mélangeait calypso et reggae avec sa poésie dub. Elle a également reçu un prix JUNO pour son album Conditions Critical, sorti en 1988.  

La voix d’Allen a amorcé une révolution qui combinait créativité, langue et activisme.

Poetic Gesture

Regarde : pOetic gEsture

Regarde Lillian présenter une partie de son poème Toronto – pOetic gEsture, paru en 2009,un poème imprégné de rythmes et d'images qui reflètent la vie en ville, un endroit qu'elle a appelé chez elle pendant des décennies. Elle parle également de l'histoire de la poésie dub et de son travail en tant que poète, activiste et éducatrice à Toronto.

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Vidéo réalisée et produite par Blake Hannahson pour Heritage Toronto. Musique de Samuel Gottlieb. 

Voir la transcription

Lillian Allen: An’ de beat of Toronto
ah rhythm & sway
cannot wait to be embraced
This diverse alive in verse city
where trees grow around the cement
Our new self in concrete
Our feet against concrete
As we go about our ways
Percussion play echoing
learning to love what we have made
softening between brick and cement
a built-up world, steeples and stairs
glass mirrors
sparing for social change

Toronto est une ville de musique fantastique. J’étais ici au milieu et à la fin des années 1970. C’est une ville tellement diversifiée. On a la chance de se voir dans un vaste ensemble. Je suis connue comme une poète dub. Je suis écrivaine et activiste artistique. La poésie dub s’inscrit dans toute une palette de modes d’expression africains.

Dans les années 1960, avec toute la ferveur qui entourait l’antiracisme et le mouvement Black Power, la voix est devenue un élément central. Et pour les gens qui ne savaient pas chanter, mais qui avaient quelque chose à dire et étaient doués pour les mots, la poésie dub offrait cette possibilité. La rue Queen elle-même était un peu un coin perdu. Et il y avait plein de petits endroits où les gens se rassemblaient. Les cultures ont commencé à se mélanger, au lieu de rester séparées. C’est le travail de la jeune génération qui a uni les cultures pour les ouvrir.

C’est ainsi que notre ville a été transformée. J’étais là. En ce qui concerne les arts et la culture, expérimentez, échouez, n’ayez pas peur du ridicule, collaborez, exprimez-vous bien fort, consacrez-y du temps. Travaillez avec amour et attention, comme si vous mettiez au monde un autre être, parce que selon moi, c’est de ça qu’il s’agit. On meurt d’envie de faire des rituels. Cette ville est vitale parce que nous y donnons une âme. La culture est l’âme de la ville.

Si les gens peuvent revenir à la culture, à leurs racines, aux connexions, au sentiment qu’ils ont un apport important et significatif, cela pourra guérir presque tout.

Des voix qui s'élèvent
 Pochette d’album colorée qui comprend les mots « Lillian Allen » écrits dans le coin supérieur droit. Sous ces mots, on peut voir le titre « Revolutionary Tea Party » sur une bannière. Le reste de la scène présente un rassemblement de personnes issues de différents horizons et cultures. Certaines jouent des instruments de musique. Derrière elles, il y a des ballons et quelques images de la ligne d’horizon de Toronto.

L’artiste Sunday Harrison a créé les illustrations pour l’album de Lillian, Revolutionary Tea Party, qui a remporté un prix JUNO en 1986. Remarque les illustrations de personnes de différentes cultures qui se rassemblent dans la rue pour faire entendre leur voix, avec la tour du CN, emblème de Toronto, en arrière-plan. Avec l’aimable autorisation de Lillian Allen.

 Une pochette d’album illustrée. Dans le bas de l’illustration, au centre, des bâtiments urbains sont placés au-dessus de femmes couchées au sol.  Deux femmes, plus grandes que les bâtiments, se tiennent l’une à côté de l’autre et tendent les mains dans des directions opposées. Une femme tient un globe terrestre dans sa main gauche et une fleur dans sa main droite. À sa gauche, l’autre femme tient un bol avec un dessin abstrait dans sa main gauche, tandis que dans sa main droite, elle tient une femme tenant une bannière sur lequel est écrit le mot « freedom ». Sur le haut de la pochette de l’album se trouvent les mots « Lillian Allen ». Au bas de la pochette de l’album, on peut lire « Conditions Critical ».

L’artiste locale Barbara Klunder a créé les illustrations de l’album Conditions Critical de Lillian Allen, qui a remporté un prix JUNO en 1988. Barbara Klunder était également l’artiste résidente du BamBoo Club, populaire club de la rue Queen Ouest. Avec l’aimable autorisation de Lillian Allen.

Albert Johnson

Rhythm an’ Hardtimes

Lillian a écrit plusieurs recueils de poésie, dont son premier recueil de poèmes autopublié en 1983, Rhythm an’ Hardtimes. Le poème titre de cette publication, qui sera plus tard enregistré sur l’album Revolutionary Tea Party, parle d’un jeune homme noir, Albert Johnson, qui a été abattu à son domicile par la police de Toronto le 26 août 1979.

Une coupure de journal avec le titre «Le jour de la mort est arrivé à Manchester Ave». Deux images sont présentées côte à côte. Sur la gauche, une femme se tient derrière quatre enfants. Derrière la femme se tient un autre homme et une femme. La photo de droite montre la façade d'une maison avec trois policiers debout: deux sur le trottoir devant la maison. Un sur le porche.
Un gros titre du Toronto Star le 27 août 1979, le lendemain de la mort d’Albert Johnson aux mains de la police de Toronto. 

Les communautés noires ont alors exprimé leur colère contre la discrimination raciale et la brutalité policière. Des manifestations nocturnes ont eu lieu dans les rues et devant la division de police responsable. Lillian a écrit Rhythm an’ Hardtimes en réaction à ces événements et l’a déclamé lors d’une des manifestations. Devant la pression des leaders de la communauté noire, la police du Grand Toronto a ouvert la première enquête externe avec la Police provinciale de l’Ontario, jetant ainsi les bases de l’Unité des enquêtes spéciales.

Après un procès très médiatisé, les deux agents impliqués dans la fusillade ont été acquittés. Malheureusement, le meurtre tragique d’Albert Johnson présente de nombreuses similitudes avec d’autres événements survenus à notre époque. Cette histoire est tristement familière. La suprématie blanche, le racisme anti-noir et le profilage racial existent toujours aujourd’hui.  

Le travail de Lillian Allen continue à mettre en lumière l’oppression, les injustices et la discrimination raciale dont sont victimes les personnes et les communautés noires. En tant qu’artiste activiste, Lillian Allen nous montre comment on peut utiliser sa voix pour militer pour le changement et la justice sociale.

Rhythm an’ Hardtimes
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Écoute : Rhythm an’ Hardtimes

hard like lead
an it bus im in im belly
an’ a Albert Johnson
Albert Johnson dead
dead
dead

— Lillian Allen

Voir la traduction

dur comme le plomb
ça éclate dans son ventre
et Albert Johnson
Albert Johnson est mort
mort
mort

Lillian aujourd’hui

Lillian aujourd’hui

En tant que témoin de la communauté et experte en matière de diversité culturelle, Lillian a travaillé directement avec divers groupes et agences gouvernementales, faisant la lumière sur l’injustice dans tout le Canada. Elle continue à œuvrer pour une équité et une diversité porteuses de sens.

Lillian reste active dans les communautés artistiques de Toronto et du Canada, collaborant notamment avec les communautés noires, autochtones et racisées pour développer leur capacité d’agir et contribuer à renforcer les collectivités. Lilian enseigne à l’Université de l’École d’art et de design de l’Ontario depuis 1992 et y a développé le programme de baccalauréat en création littéraire en 2019.

Depuis les quatre dernières décennies, Lillian continue d’écrire, de publier, de se produire, de collaborer, d’éduquer et de parler lors d’événements, de festivals, de réunions d’experts littéraires et de conférences en Amérique du Nord et dans le monde entier. Elle encourage les jeunes à utiliser leurs voix pour exprimer leurs vérités, inspirant ainsi une nouvelle génération d’artistes et de militants artistiques.

Une femme est devant un fond rouge. Elle porte un foulard à fleurs et tient un panneau en carton sur lequel est écrit à l’encre noire « Change your consciousness, Change the world. Make your education mean something!!! »

Image reproduite avec l’aimable autorisation de Lillian Allen

Jazz You

Regarde : Jazz You

Regarde Lillian Allen interpréter son poème Jazz You (1993) dans le centre-ville de Toronto. 

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Vidéo produite et réalisée par Blake Hannahson pour Heritage Toronto.

Voir la transcription

Molten shimmer red charcoal roasting
like hot. burn.
burn black. burn sax. burn blue. burn into my flesh
brewing a potpourri of a storm ablowing waves of hues
hot wax, rise and sink, twist and sizzle in the frying pan
mood simmer
agasp gasp, gasp, gasp, gasping ... Oh yea
a breath in the life of a sound breezes through sax
breathes jazz, breathes sax
a step to beat prap … pa … pa … pap
my heart was my whipping stick. oh heart
and your soul my tambourine shake, shake on
shake life into them silent sounds solo in duet
solo on the breeze volar solar ing
be you be bird be song
sing sing the ba luse sing blue skies sing me sing you skies
sing  oh oh, oh sway, oh stay ooh oh ooOOoo
sing me you sing the go away frustration blues
sing I ain't stop singing till I trucking through blues
the notes and the melody keep, slip sa lip sa lippling
oh real so real surreal slip
oo so tired and there's no music in dem here toes
music, no music, oh music, the music
always the music

Poetry Music

La poésie, la musique, c’est la voix de la culture. C’est une voix artistique. C’est l’endroit où on peut visualiser. C’est aussi l’endroit pour rassembler les gens. La culture est l’âme de la ville. Elle franchit toutes les frontières.

— Lillian Allen, entretien avec Heritage Toronto, 2019
Explore à fond

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Site Web officiel de Lillian Allen

Lillian Allen. Women Do This Every Day: Selected Poems of Lillian Allen. Toronto : Women’s Press, 1993.