Introduction

Comment une salle de quilles a-t-elle pu devenir le meilleur endroit pour voir un concert à Toronto?

Sous la propriété de la famille Bulucon, Le Coq d’Or Tavern était une destination incontournable au centre-ville de Toronto, et ce, pendant plus de vingt ans. Dans cet établissement, réparti sur plusieurs étages, on pouvait trouver des gogo-danseuses, une salle de danse pour les adolescents, et même un célèbre musicien en résidence, Ronnie Hawkins. Tout ça sous le même toit au Coq d’Or.

On ne savait jamais sur qui on allait tomber à cette taverne : peut-être le champion de boxe poids lourds, Joe Louis, ou le compositeur lauréat d’un Oscar, Henry Mancini, ou peut-être même Bob Dylan.

Greek Go Getter

Un homme d’action grec

Le Coq d’Or était la création de George Bulucon, né en Grèce. Arrivé au Canada durant sa jeune enfance, au début des années 1900, Bulucon a commencé par cirer les chaussures des hommes d’affaires de Toronto. Armés de ses économies et d’un peu d’audace, Bulucon et son partenaire d’affaires, George Ivals, ont ouvert et géré plusieurs salles de quilles à Toronto dans les années 1930. Lorsque Bulucon a fait l’acquisition d’un immeuble de trois étages vide au 333, rue Yonge, il n’avait d’yeux que pour les allées et les quilles, mais pas la musique.

Bulucon a fait ses débuts en 1948 dans ce nouvel édifice situé au 333, rue Yonge, dont la vocation se voulait un point de rencontre pour le divertissement. Des allées de quilles et des tables de billard se trouvaient aux deuxième et aux troisième étages. Au rez-de-chaussée, un restaurant gastronomique, Le Coq d’Or, accueillait les familles. Une taverne servant des cocktails, l’Olympia, se trouvait à l’étage inférieur.

Une photo extérieure du 333, rue Yonge. Un bâtiment de trois étages fait la publicité d’Olympia Bowling aux deux étages supérieurs. Au rez-de-chaussée, on peut lire sur une enseigne « Fine Cuisine ». Une enseigne horizontale extérieure annonce « Le Coq d’Or ».

Au début des années 1950, Le Coq d’Or proposait quatre étages de divertissements, de la gastronomie aux quilles. La famille Bulucon possédait une chaîne de salles de quilles à Toronto durant cette période, connue sous le nom d’Olympia Bowl.

Avec laimable autorisation de la collection de la famille Bulucon/Brendle

Une photographie en noir et blanc de l’intérieur d’un restaurant. On peut voir de nombreuses tables dressées pour le service dans le restaurant avec de larges banquettes au fond. Au centre de la prise de vue se tiennent trois hommes, portant tous un complet.

Un aperçu intérieur au restaurant gastronomique Le Coq d’Or à la fin des années 1940. Sur la photo apparaissent les propriétaires du restaurant de l’époque et sa salle de quilles à l’étage. De gauche à droite : George Ivals, William « Bill » Bulucon et George Bulucon.

Avec l’aimable autorisation de la collection de la famille Bulucon/Brendle

Dance Music

Musique de danse

Une publicité dans le journal pour de la musique live, avec le libellé: «Ils sont formidables! Les 3 soleils, les taches d'encre, les Mills Bros., mais nous pensons que les 3 scamps sont meilleurs. Venez voir par vous-même lundi soir. »
​Une annonce de 1949 faisant la promotion de la musique de danse sur place au restaurant Le Coq d’Or de George Bulucon au rez-de-chaussée.
Avec l’aimable autorisation de Toronto Star

Le propriétaire, George Bulucon, a ajouté une piste de danse à son restaurant gastronomique, Le Coq d’Or, au début des années 1950. Il invitait des musiciens en tournée à jouer de la musique de danse sur place pour les foules grandissantes à son restaurant.

Une publicité dans le journal pour la taverne Olympia avec les mots «Salut pardner! Entrez et dites bonjour! Nous roulons sur le stand de l'Olympia Tavern. Lucky Steel et ses Trail Riders, stars de la radio, de la télévision et des disques, en vedette sur le Smiley Burnette Show. A joué pendant 22 semaines à Village Barn, New York, Western and Modern Music »
​Une annonce de 1953 faisant la promotion de la musique et des spectacles de style cowboy à l’Olympia Tavern, en bas.
Avec l’aimable autorisation de Toronto Star

Pendant ce temps, l’Olympia Tavern en bas avait pour thème un style western avec la musique assortie jouée sur place. Les clients, juchés sur des selles westerns en guise de tabourets de bar, appréciaient les spectacles dont les musiciens provenaient souvent des États-Unis.

Listen: It's Only Make Believe

Écoute : It’s Only Make Believe

En octobre 1958, le chanteur américain de musique country, Conway Twitty, a chanté son nouveau succès, « It’s Only Make Believe », à une grande foule au 333, rue Yonge.

Twitty avait écrit cette chanson quelques mois auparavant à peine tandis qu’il se produisait à proximité, à Hamilton, en Ontario. Cette chanson a propulsé Twitty, alors peu connu, au rang de vedette et a marqué l’un des premiers grands noms à s’être produit dans l’établissement de Bulucon.  

Twitty, peut-être parce qu’il avait écrit son premier (et seul) succès au Canada, adorait le voisin au nord des États-Unis et il encourageait souvent des musiciens américains à se produire au Canada.   

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Le Hawk atterrit

Le Hawk atterrit

Peut-être que c’était le décor western du restaurant qui a d’abord attiré le chanteur de rock and roll de l’Arkansas, Ronnie « le Hawk » Hawkins, au Coq d’Or à la fin des années 1950.  Encouragé par son ami, Conway Twitty, à jouer au Canada, à la fin de l’année 1958, Ronnie Hawkins s’est produit au Coq d’Or pour la première fois avec son groupe, The Hawks.

Le groupe rockabilly débordant d’énergie a attiré de grandes foules sur la piste de danse. Le propriétaire, George Bulucon, savait reconnaître un succès quand il en voyait un. Rapidement, Hawkins et The Hawks se sont mis à jouer à la taverne presque tous les soirs de la semaine au Coq d’Or.

Une image en noir et blanc d’un homme assis sur un tabouret sur une petite scène dans le coin à droite, jouant de la guitare acoustique et chantant dans un micro. Il porte un blouson, un pantalon habillé et des chaussures de ville. Le public, composé d’hommes et de femmes portant des vêtements de ville variés, se trouve à la gauche du chanteur. Le plafond est bas et sombre et la salle est enfumée.

Ronnie Hawkins et The Hawks sont devenus des invités réguliers au Coq d’Or à partir de la fin des années 1950. Un artiste charismatique et sociable, Hawkins, était le chanteur principal du groupe de rock and roll. Mais il s’est avéré que son groupe, les Hawks, avait un potentiel caché important. De gauche à droite : Robbie Robertson (guitare), Jerry Penfound (saxophone), Ronnie Hawkins (chant), Rick Danko (basse) et Levon Helm (batterie).

Avec l’aimable autorisation des bibliothèques de l’Université de York, de Clara Thomas Archives & Special Collections, du fonds du Toronto Telegram, ASC00077

Bo Diddley

Écoute : Bo Diddley

Ronnie Hawkins, né en Arkansas, incarnait le style rockabilly pendant ses prestations. Ce style, considéré comme lune des formes de rock and roll les plus précoces, a pris naissance dans le sud des États-Unis, mariant des éléments régionaux de la musique country et le rhythm and blues : une combinaison considérée comme lune des bases du rock and roll « classique ». Le terme provient de la manière dont les critiques de musique décrivaient le son, « du rock and roll joué par des montagnards du Sud ».  

Écoute « Bo Diddley », l’une des chansons les plus populaires des débuts de Ronnie Hawkins, pour entendre des éléments de rockabilly.

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Regarde : Ronnie Hawkins

Regarde : Ronnie Hawkins

Dans cette entrevue de la CBC de 1967, Ronnie Hawkins raconte pourquoi il a décidé de venir au Canada pour jouer du rock and roll. Écoute bien pour voir ce qu’il pense de certains autres genres musicaux, comme le jazz. 

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Avec l’aimable autorisation de CBC Retrobites. Remarque : Cette vidéo de tierce partie n’est pas sous-titrée.

Voir la transcription

Ronnie Hawkins : J'ai commencé à jouer dans une petite ville appelée Fedville, en Arkansas, quand j’avais environ 16 ans, et j’ai déménagé de Fedville vers le circuit de Memphis à environ 21 ans. Et nous jouions dans ce que j’appelais le circuit des vagabonds là-bas.

Et nous étions sur le chemin de la famine. Cela marchait exceptionnellement bien pour nous, mais nous ne gagnions toujours pas d’argent, nous avions atteint le niveau le plus haut possible sans être des vedettes internationales, nous n’avions pas sorti de disque au moindre succès.  Par conséquent, j’étais un peu désespéré, donc j’ai appelé un de mes amis qui jouait au Canada à l'époque.

Il s’appelait Harold Jenkins et sa carrière marchait plutôt bien là-bas. Il se débrouillait un peu mieux que nous, dans tous les cas. Il a dit que les choses allaient plutôt bien. Il se préparait à changer son nom pour devenir Conway Twitty. Lorsque j’ai commencé à jouer du rock and roll, je ne pensais pas qu’il y avait plus voyou qu’un chanteur de rock and roll dans le domaine de la musique. Tout le monde voyait cela d’un mauvais œil et tous les musiciens fronçaient les sourcils. Tous les parents désapprouvaient aussi. Ils disaient que ce n’était qu’une mode, que ça ne durerait deux mois, tout au plus.

Et toutes ces boîtes de nuit ne voulaient clairement pas d’un bruit assourdissant, d'une meute hystérique dans leur établissement, avec ses gros amplificateurs, à casser des lustres et des trucs. Ces propriétaires de boîtes s’en mordent les doigts aujourd’hui. Nous sommes 10 ans, peut-être 15 ans plus tard, j’ai oublié. Les grandes boîtes de nuit s’ouvrent et commencent à jouer du rock and roll. Auparavant, elles disaient qu’elles ne voulaient pas d’un groupe de rock and roll à une centaine de milles de leur établissement.

Ce sont eux qui s’en mordent les doigts aujourd’hui. Le rock and roll, c’est la musique. Le jazz, c’est terminé dans la plupart des villes. Et, à Toronto, le jazz ne pouvait pas, ne peut pas attirer suffisamment de personnes pour durer.

La rue Yonge déchire tout

La rue Yonge déchire tout

Au milieu des années 1960, la rue Yonge était le lieu incontournable pour la musique jouée sur place à Toronto. Les emplacements comme Le Coq d’Or et ses voisins, la Steele’s Tavern, la Friar’s Tavern et la Town Tavern, présentaient de la musique rock ou jazz presque tous les soirs.  

La résidence de Ronnie Hawkins au Coq d’Or s’est poursuivie et il y a joué près tous les soirs de la semaine. Son groupe, les Hawks, est passé à autre chose.  

Constitué principalement de musiciens du Canada, y compris Robbie Robertson et Rick Danko, le groupe s’est produit dans d’autres établissements de la rue Yonge Street sous divers noms tels que Levon et les Hawks ou les Canadian Squires. Une rencontre fortuite avec Bob Dylan a valu aux Hawks une place en tant que groupe d’accompagnement lors de sa tournée mondiale en 1965.

À la fin des années 1960, le groupe a commencé à sortir leurs propres albums sous leur nouveau nom : The Band.

Une photo couleur montrant l’extérieur d’un bâtiment sur lequel l’enseigne « Le Coq d’Or Tavern » est éclairée par de vives lumières rouges et blanches à l’extérieur au premier étage. Une enseigne lumineuse plus petite de l’autre côté de la route annonce « Times Square of Toronto ». Au-dessus de cette enseigne se trouve une grande enseigne lumineuse mentionnant « Olympia Bowling » avec des flèches pointant dans les deux directions.

Le vif éclairage du Coq d’Or sur la rue Yonge dans les années 1960. Il se trouvait juste en face de l’autre propriété de la famille Bulucon, l’Olympia Bowling. Les deux établissements appartenaient à la famille, qui les gérait aussi.

Avec l’aimable autorisation de la collection de la famille Rueckwart/Jalonen

The Hawk's Nest

The Hawk's Nest

En 1965, Bill Bulucon et Ronnie Hawkins ont ouvert à l’étage de l’établissement pour adolescents The Hawk’s Nest qui, dans sa vie précédente, était l’allée de quilles de l’Olympia. La boîte de nuit était destinée aux adolescents de 15 à 19 ans et présentait de la musique jouée sur place.

Souhaitant garder une image irréprochable et empêcher l’inquiétude des parents, Bulucon et Hawkins ont instauré des règles claires pour l’établissement : il n’y avait pas d’alcool et un code vestimentaire était imposé. Les jeans n’étaient pas autorisés. À l’origine, l’établissement accueillait principalement des événements de musique blues et soul et, par la suite, il s’est concentré davantage sur le rock vers 1969.

Une publicité en noir et blanc avec le texte "Boozless, Jeanless night club big hit"
Une revue préliminaire du Hawks Nest.
The Toronto Star, 11 janvier 1965

Ronnie Hawkins donnait des représentations en soirée au Coq d’Or et aidait à diriger The Hawk’s Nest et il a déménagé au troisième étage du 333, rue Yonge. Des rumeurs couraient concernant l’appartement extravagant qu’il s’était créé avec un ring de boxe, un sauna, un très grand lit à 6 000 $ et un bar bien rempli. Les affaires étaient prospères : Hawkins s’est même offert une Rolls-Royce (ou deux).

[Hawkins] a acheté un grand manoir à la campagne, en dehors de Toronto, quelques Cadillac, quelques Rolls-Royce et des Lincoln, une boîte de nuit à Toronto, une à London, en Ontario, quelques fermes, des terrains vagues chez lui.

Il a embauché un chauffeur pour ses voitures, allumait ses cigares avec des billets de banque. Son nom était synonyme de fêtes débridées, d’alcool et d’amantes.

– Earl McRae, « Last Boogie in Sturgeon Falls », The Canadian, 27 mars 1976

SilverCloud Blues
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Écoute : Talkin Silvercloud Blues

Quand il vivait à Toronto, Ronnie Hawkins s’est lié d’amitié avec bon nombre des autres musiciens qui se produisaient régulièrement dans les établissements de la rue Yonge. Gordon Lightfoot, qui s’est produit à la Steele’s Tavern voisine au début des années 1960, et devenu un ami proche de Hawkins.  

Le style de vie de plus en plus opulent de Hawkins a inspiré Lightfoot à écrire la chanson « Talkin Silver Cloud Blues », qui faisait référence à la première tentative de Hawkins d’acheter une Rolls-Royce à Toronto. Même si Lightfoot n’a jamais enregistré la chanson, le chanteur américain John D. Loudermilk a enregistré et sorti une version en 1966.

Une photographie couleur de trois personnes, deux hommes et une femme, se produisant sur scène. La femme se trouve au milieu des deux hommes, qui sont vêtus de complets noirs. La femme au milieu a les cheveux courts et porte une robe vert clair. Elle chante dans un micro.

Tant le Coq d’Or que The Hawk’s Nest à l’étage ont présenté de nombreux artistes de soul et de R&B tout au long de la fin des années 1960. Sur cette photo de 1967, Ronnie Hawkins (à gauche) apparaît sur scène avec les chanteurs de soul canadiens Jackie Gabriel (au centre) et Eugene « Jay » Smith (à droite).

Avec l’aimable autorisation de William « Bill » Bulucon

Changement de cap

Changement de cap

Les années 1970 ont été marquées par de nombreux changements sur la rue Yonge. Un grand nombre des salles de concert originales ont fermé tandis que d’autres ont modifié leur offre en s’éloignant de la musique jouée sur place.

Ronnie Hawkins a quitté Le Coq d’Or également à cette époque et il a organisé une tournée de retour dans tous les États-Unis en 1969-1970. Il a continué à faire des tournées et à se produire, notamment, en se joignant à son ancien groupe, The Hawks, qui s’appelait désormais The Band, sur scène pour leur concert d’adieu, « Last Waltz », en 1976.

La famille Bulucon a fermé Le Coq d’Or en 1976. Mais ce n’était pas la dernière fois qu’on allait entendre de la musique dans le bâtiment. En 1991, la boutique phare de Toronto de HMV, le magasin de musique et de divertissement, a ouvert ses portes au 333, rue Yonge.

Dans ce bâtiment dont l’aménagement avait peu changé, les clients de la boutique HMV pouvaient encore apprécier l’écho de l’endroit où Ronnie Hawkins, Bo Diddley et Conway Twitty avaient joué des dizaines d’années auparavant. La boutique HMV, qui y est restée pendant plus de 20 ans, a fermé ses portes en 2017.

Une photographie couleur dune scène de rue animée. L’image montre directement une artère passante bondée de voitures. Des deux côtés de la rue, des piétons marchent dans les deux directions.

Une vue de la rue Yonge à la fin des années 1970. À gauche, on peut toujours voir l’enseigne du Coq d’Or.

Archives de la ville de Toronto, série 1465, fichier 610, article 30

Explore à fond

Explore à fond

Nicholas Jennings. Before the Gold Rush: Flashbacks to the Dawn of the Canadian Sound. New York : Viking Press, 1997. 

Yonge Street: Toronto Rock and Roll Stories. Dirigé par Bruce McDonald. Sandhurst : David Brady Productions, 2012.